Au niveau stratégique, elle a abandonné l’illusion que l’aviation pouvait à elle seule écraser l’adversaire. Au niveau tactique, elle a repris les manœuvres interarmes à grande échelle, alors que ces entraînements avaient été négligés ces dernières années au profit des opérations contre l’intifada palestinienne. [1]
Mais le mal est plus profond, selon des experts et la commission elle-même. Pour l’historien militaire Martin Van Creveld, la source provient du fait qu’une « armée qui combat des faibles devient faible ». La lutte contre les groupes armés palestiniens, sur lesquels l’armée israélienne dispose d’une supériorité écrasante, nécessite « de faire preuve de prudence, prendre son temps et de limiter au maximum les pertes », alors que dans la guerre, « il faut de l’audace, le temps presse et les pertes deviennent un facteur secondaire », souligne-t-il.
Pour le colonel de réserve Omer Bar-Lev, la « crise de valeurs de l’armée israélienne émane de toute la société ». « Israël est devenue une société d’abondance pour les uns, de pauvreté pour les autres. Lorsque la valeur suprême est la réussite économique et que l’individualisme prime, les gens ne sont plus prêts à se sacrifier », estime cet ancien chef du plus prestigieux commando israélien, le Sayeret Matkal. Il explique en outre la baisse de combativité par les divisions profondes de la société, suite notamment à l’occupation depuis plus de quarante ans des territoires palestiniens. « Tous ne veulent pas mourir pour Hébron et Naplouse afin que ces villes (de Cisjordanie) restent sous le pouvoir d’Israël », souligne-t-il.
Il s’avère que des Israéliens ne sont pas davantage prêts à payer de leur vie la conquête de telle ou telle localité du Liban-Sud, sachant qu’ils devront en sortir quelques jours plus tard, relève l’analyste Ran Edelist. « Les réservistes envoyés au Liban n’avaient pas le sentiment de défendre l’existence même d’Israël et n’étaient nullement prêts à se sacrifier », estime-t-il.
« Une armée doit aspirer à la victoire et s’il s’avère dès le départ qu’une telle victoire est hors de portée, il vaut mieux éviter d’entrer en guerre », souligne le rapport Winograd publié mercredi. La commission relie elle aussi les défaillances de l’armée « à une altération de ses valeurs, ainsi qu’à des changements profonds dans la société israélienne dont toute une partie n’est plus prête à accepter des guerres prolongées et leur prix humain ». Mais l’armée ne peut, selon elle, attendre qu’un changement global de la société se produise pour corriger ses fautes et en finir avec la mentalité du « laisser-faire et laisser-aller », selon le rapport.
De hauts responsables militaires, cités hier par différents médias israéliens, exprimaient leur inquiétude concernant l’effet du rapport sur le moral de l’armée. Ils critiquaient le fait que l’ensemble de l’armée était stigmatisé et pas seulement l’état-major, soulignant que l’armée avait été la première à enquêter sur ses ratés et à en faire payer le prix à toute une partie du commandement, forcée à rendre sa démission.
Lors des hostilités, l’armée n’a pas réussi à empêcher le Hezbollah de tirer 4 000 roquettes contre le nord d’Israël, contraignant un million d’habitants à se terrer dans les abris ou à fuir vers le Sud.